Par Jean-François Venne

Cet article a été publié originalement dans le numéro de Janvier-Février 2025 du magazine Optik.

Donald Trump menace d’augmenter fortement les tarifs commerciaux sur les importations chinoises et d’imposer aux produits canadiens une surtaxe de 25 % à la frontière. L’industrie optique nord-américaine pourrait en être affectée.

 « L’histoire ne se répète pas, elle bégaie », aurait dit Karl Marx. Plusieurs ont sûrement eu ce sentiment lorsque Donald Trump, fraîchement réélu, a relancé la ronde des tarifs douaniers qui avait déjà marqué son premier mandat. L’industrie optique n’avait d’ailleurs pas été épargnée. En 2019, l’administration américaine avait imposé des tarifs de 10 à 25 % sur un ensemble d’articles importés de Chine, dont les montures et les verres ophtalmiques, les lunettes solaires, les étuis à lunettes, et les solutions nettoyantes.

« Cette fois, Donald Trump menace d’imposer des tarifs qui pourraient s’élever jusqu’à 60 %, donc nos membres s’inquiètent, d’autant que certains produits, comme l’acétate de cellulose, ne sont pas vraiment disponibles à un prix compétitif aux États-Unis », reconnaît Omar Elkhatib, directeur principal des relations gouvernementales à The Vision Council. 

Des tarifs de 25 %

Historiquement, les produits optiques importés de Chine étaient sujets à des tarifs de 2 à 2,5 %. « Cependant, depuis le premier séjour de Donald Trump à la Maison-Blanche, ces tarifs se sont maintenus entre 7 et 7,5 % en moyenne, et plusieurs articles comme les étuis à lunettes, les solutions nettoyantes et les équipements utilisés pour fabriquer les montures sont imposés à 25 % », souligne Omar Elkhatib.

Au Canada, les montures ophtalmiques échappent pour l’instant à la guerre des tarifs, mais les lunettes de soleil chinoises sont sujettes à des droits de douane de 5 %. Or, la situation pourrait changer. Le chef du Parti conservateur, Pierre Poilievre, largement en avance dans tous les sondages, a mentionné à plus d’une reprise que le Canada devrait s’aligner sur la position américaine en matière de tarifs douaniers envers la Chine.

En 2022, la valeur des importations canadiennes de montures en plastique chinoises s’élevait à plus de 76 millions de dollars, selon le gouvernement canadien. En guise de comparaison, les importations en provenance de l’Italie représentaient plus de 46 millions de dollars et celles de la France, un peu moins de 6 millions de dollars. Les importations de lunettes solaires chinoises valaient, elles, près de 91 millions de dollars, contre 106 millions de dollars pour les lunettes solaires italiennes.

La voie du « Made in USA »

« La montée des tarifs commerciaux, jumelée à l’impact de la pandémie, qui avait compliqué l’approvisionnement international, incite l’industrie à tenter de produire davantage en Amérique du Nord, mais elle a besoin de l’appui du gouvernement pour y arriver », avance Omar Elkhatib.

L’industrie aimerait compter sur certains avantages fiscaux ou financiers pour l’aider à rapatrier une partie de sa production. The Vision Council souhaiterait aussi que le gouvernement américain assouplisse ses critères quant à ce qui constitue un produit « fabriqué aux États-Unis ».

En septembre 2024, l’organisme a publié un rapport qui montre que la moitié des consommateurs croient qu’une monture assemblée aux États-Unis avec des matériaux importés devrait être considérée comme étant « fabriquée aux États-Unis ». La loi actuelle ne permettrait pas de lui apposer cette désignation. Le document indique aussi que près de la moitié des consommateurs accepteraient de payer 5 % de plus pour acheter une monture fabriquée au pays de l’Oncle Sam.

Des risques au Canada

L’industrie optique canadienne pourrait être touchée de différentes manières par de nouveaux tarifs américains sur les importations chinoises et canadiennes. « Les chaînes d’approvisionnement nord-américaines de l’industrie optique sont très intégrées et les produits circulent beaucoup entre les États-Unis et le Canada, et cette industrie importe aussi beaucoup de la Chine », rappelle Michel Rochette, président du Conseil canadien du commerce de détail (CCCD) pour le Québec.

Certaines entreprises canadiennes qui importent des moutures, des matériaux ou d’autres produits de la Chine les font transiter par des entrepôts situés aux États-Unis. C’est notamment le cas des entreprises qui opèrent des établissements des deux côtés de la frontière. Or, ces produits sont assujettis aux tarifs sur les importations chinoises.

Le gouvernement américain pourrait aussi être tenté de taxer les produits canadiens importés aux États-Unis, mais qui proviennent en tout ou en partie de la Chine. C’est le cas par exemple de montures qui sont dessinées au Canada, mais fabriquées en Chine, ou encore de montures qui sont assemblées au Canada, mais avec des matériaux ou des pièces chinoises.

Des tarifs de 25 % imposés aux importations canadiennes vers les États-Unis feraient quant à elle très mal aux créateurs et distributeurs canadiens qui comptent une partie de leur clientèle aux États-Unis. « C’est difficile actuellement de savoir si cette menace sera appliquée ou s’il s’agit d’une stratégie pour devancer la renégociation de l’Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM), mais les entreprises doivent se préparer au pire », croit Michel Rochette.

S’adapter à des scénarios tarifaires incertains

Reste que les stratégies d’adaptation à des scénarios de hausse de tarifs, que ce soit envers les produits chinois ou canadiens, ne sont pas simples à exécuter. « Certaines entreprises pourraient tenter de s’approvisionner ailleurs qu’en Chine si c’est possible ou encore de modifier leur chaîne logistique pour éviter que leurs produits ne passent par les États-Unis, et bien sûr une partie des augmentations de tarifs risquent de se répercuter dans les prix de vente », illustre Michel Rochette.

Selon lui, la plus grande difficulté viendra surtout de l’imprévisibilité. L’arrivée en poste de Donald Trump en janvier jumelée à une certaine instabilité politique au Canada pourrait créer un cocktail explosif pour les commerçants canadien, y compris dans l’industrie optique.

Références :

Source pour les tarifs des importations chinoises au Canada dans l’optique (les importations chinoises sont sujettes au tarif MFN) :

https://www.cbsa-asfc.gc.ca/trade-commerce/tariff-tarif/2025/html/00/ch90-eng.html#wb-auto-4

Sur la valeur des importations de Chine (lunettes solaires) : https://ised-isde.canada.ca/app/ixb/cid-bdic/exportingCountries.html?hsCode=900410&countryCode=553

Sur la valeur des importations de Chine (montures ophtalmiques en plastique) :

https://ised-isde.canada.ca/app/ixb/cid-bdic/exportingCountries.html?hsCode=900311&countryCode=553

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